Chapitre VII

Le petit jour le surprit à contempler le plafond du camping-car, complètement désorienté. Il reconnaissait ce plafond mais ne pouvait le situer dans l’espace. Sa tête et son épaule relançaient. Un plafond… un plafond familier.

Une voiture klaxonna. Le bruit le ramena au présent, il reprit ses esprits. Il rejeta les pans chiffonnés de son duvet et sortit. Le temps était gris, couvert. Son menton était râpeux. Il avait un goût amer dans la bouche.

Deux écoliers passèrent, le dévisagèrent en murmurant.

Je dois avoir une de ces gueules… pensa Dasein. Il baissa les yeux sur ses vêtements. Ils étaient chiffonnés et tire-bouchonnés comme s’il avait nagé avec et dormi dedans jusqu’à ce qu’ils sèchent. Dasein sourit en se disant que c’était là exactement ce qui s’était produit.

Il monta dans la cabine, fit demi-tour et gagna la rue principale ; il la descendit jusqu’à ce qu’il voie le panonceau de la poste au-dessus du porche d’une épicerie-droguerie.

Le postier finit de vendre des bonbons à une petite fille avant de passer dans son cagibi grillagé pour peser la lettre et le colis de Dasein. L’homme était grand, pâle, brun, légèrement dégarni, des yeux bleus, vifs, méfiants. Il renifla en voyant Dasein et dit : « Ça fera quatre-vingt-quatre pour le colis et cinq pour la lettre. »

Dasein glissa un billet d’un dollar sous le grillage. L’homme rendit la monnaie, jeta un nouveau coup d’œil sur le colis.

— Qu’y a-t-il là-dedans. Monsieur ?

— Des spécimens à faire analyser par notre laboratoire, dit Dasein.

— Oh.

L’homme ne semblait guère curieux de savoir quel genre de spécimens.

— Une adresse de retour ? demanda-t-il.

— Dr Gilbert Dasein, poste restante, Santaroga.

— Dasein, répéta le postier avec un intérêt soudain. « Dasein… me semble que j’ai un paquet pour un Dasein. Attendez une minute. »

Il disparut dans l’arrière-boutique, revint un instant après portant une boîte de trente centimètres d’arête, proprement emballée et ficelée solidement. Même à cette distance, Dasein avait reconnu l’écriture précise de Selador sur l’adresse.

Selador ! m’écrire ici ? s’étonna Dasein.

Ces apparences de conspiration lui donnaient la nette impression d’être absolument transparent pour Selador. Il pouvait se permettre d’expédier un paquet ici, en sachant qu’on viendrait le retirer. Immédiatement, Dasein se dit que c’était la solution la plus évidente, étant donné la situation avec la Poste de Santaroga, telle qu’il l’avait décrite à Selador.

Subsistait en lui pourtant cette impression d’être un pion dont les moindres mouvements étaient connus des maîtres du jeu.

— Voyons vos papiers, dit le préposé.

Dasein les lui montra.

— Signez ici.

Dasein signa, prit le colis. Il lui parut lourd.

— Marrant que les Santarogans se servent de mon bureau de poste, remarqua le postier. « Vous avez des ennuis avec le vôtre ? »

Les Santarogans… au pluriel, nota Dasein. Il demanda :

— Y a-t-il d’autres… Santarogans qui viennent chez vous ?

— Mon Dieu… ça s’est produit. Un type noir de là-bas… Burdeaux, si je me souviens bien. Il avait coutume d’expédier parfois du courrier d’ici. Une fois, il a reçu un paquet de Louisiane. Il y a un bout de temps de ça.

— Ah, oui, dit Dasein ne sachant que répondre à cette information.

— Ça fait un bail que je n’ai pas revu Burdeaux, dit le postier d’un air songeur. « Un gars sympa. J’espère qu’il va bien. »

— Parfaitement bien, répondit Dasein. Bon. Eh bien… merci. Il saisit le colis et regagna son camion.

Avec un sentiment de méfiance qu’il ne pouvait s’expliquer, Dasein posa le paquet sans l’ouvrir sur le siège à côté de lui et reprit la route de l’est vers Santaroga jusqu’à ce qu’il trouve un coin abrité pour s’arrêter.

Le colis contenait un pistolet automatique de calibre 32, accompagné d’un chargeur supplémentaire et d’une boîte de cartouches. Une note de Selador était attachée à l’anneau de la gâchette : « Gilbert, cet objet amasse la poussière depuis des années au fond d’un tiroir de mon bureau et je suis sans doute un vieux fou de vous l’envoyer, mais enfin le voici. Je crois que je vous l’envoie dans l’espoir que vous n’aurez pas à en faire usage. La situation que vous m’avez dépeinte, toutefois, m’a empli d’un sentiment d’inquiétude des plus bizarres. Je compte sur vous pour vous montrer extrêmement prudent. »

Et de l’autre côté de la feuille, il avait griffonné ce post-scriptum : « Pas encore de nouvelles des renseignements que vous m’avez demandés. Les choses vont lentement en ce domaine. Vous me donnez pourtant l’espoir que nous ne tarderons pas à leur mettre la main au collet. »

Et c’était signé : « S ».

Dasein soupesa l’automatique, résista à la tentation de le balancer par la fenêtre. L’objet incarnait une menace définitive. Qu’avait-il dit pour pousser Selador à le lui expédier ? Ou bien était-ce un élément de l’obscur gambit qu’il était en train d’élaborer ?

Pouvait-il servir à lui rappeler son devoir ? Une pensée qui résonnait douloureusement dans sa tête meurtrie.

Une ligne de son message lui revint en mémoire et il la relut : « … leur mettre la main au collet. »

Est-ce donc là ce que je suis censé faire ? Les mettre en situation d’être poursuivis ?

Il se rappela les allusions de Marden concernant les motifs qui avaient amené les enquêteurs précédents.

Dasein déglutit. En la relisant encore, la phrase de Selador sonnait comme un lapsus. La main du bon docteur avait-elle glissé ? Envoyer un revolver ne lui ressemblait pas. À vrai dire, Dasein s’aperçut que si on lui avait posé la question, il aurait répondu que Selador n’était même pas le genre d’homme à posséder une arme.

Que faire de ce foutu machin maintenant qu’il l’avait ?

Dasein le vérifia ; vit que le chargeur était plein ; aucune balle n’était engagée dans la chambre. Il résista à la tentation de le fourrer dans la boîte à gants et de l’oublier. Si jamais le camion était fouillé…

Satané Selador !

Tout en se sentant idiot, Dasein glissa l’arme dans sa poche arrière, rabattit sa veste. Il s’occuperait de Selador plus tard. Pour l’instant, il y avait Piaget… et Piaget avait quelques réponses à lui fournir.

La barriere Santaroga
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